Résumé
Alors que l’historiographie de la « question arménienne » fut largement subsumée dans les traitements universitaires de la « question orientale », les dynamiques entre la Turquie, les grandes puissances et le droit public de l’Europe, et l’échec de la Société des Nations de protéger un foyer national arménien, les récits de la souffrance arménienne n’ont pas été perçus comme partie intégrante à l’histoire de l’Europe, à l’histoire de l’impérialisme ni même à l’histoire de l’humanitarisme. Le but principal de cet article est de faire ressortir comment une multitude de textes légaux et diplomatiques de l’entre-guerre ont discursivement reproduit les contextes impériaux dans lesquelles la souffrance arménienne et la sympathie « arménophile » ont été cadrées et déployées dans la constitution de logiques contradictoires de solidarité et d’exclusion inhérentes à ce que les universitaires ont récemment appelé, suivant le travail de Michel Foucault sur la gouvernementalité, le gouvernement « humanitaire ». Par deux études de cas portant sur des « récits humanitaires interventionnistes» du 19e siècle et des débats sur la construction d’une nation et d’un État arménien, il est soutenu qu’il fut déployé, autour d’une « Arménie » imaginaire, un discours d’humanitarisme par lequel des techniques de pouvoir gouvernemental investirent et donnèrent une signification légale à la souffrance et aux cadavres arméniens et prirent en charge leurs « vies précaires ». Loin de déplacer les distinctions basées sur la race, la civilisation, le nationalisme et la religion en faveur d’un paradigme moral d’humanisme, un discours sentimentaliste d’« humanité » imprégnant l’imagination légale internationale s’est fermement appuyé sur celles-ci, rendant possible le regroupement de solidarité avec d’autres êtres humains et « une inégalité de vies et de hiérarchies de l’humanité », ce qui constitue une « aporie de gouvernementalité humanitaire ».
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